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E. Llop : "Les professionnels immatriculés sont les premiers travel planners !"

L'interview de Me Emmanuelle Llop (Equinoxe Avocats)


Qu'est-ce qu'un travel planner ? Pourquoi ces nouveaux professionnels posent-ils problème aux agences de voyages ? Les deux professions pourront-elles un jour coexister paisiblement ? TourMaG a recueilli l'expertise de Me Emmanuelle Llop, avocate pour le cabinet Equinoxe Avocats, sur le sujet. Entretien.


Rédigé par le Vendredi 29 Novembre 2024

E. Llop : "Mis à part la collaboration dans le cadre de l’apport d’affaires, j’entrevois assez mal un apaisement, tant que des travel planners taperont sur les agences de voyages en prétendant faire mieux et moins cher" - DepositPhotos.com, tonodiaz
E. Llop : "Mis à part la collaboration dans le cadre de l’apport d’affaires, j’entrevois assez mal un apaisement, tant que des travel planners taperont sur les agences de voyages en prétendant faire mieux et moins cher" - DepositPhotos.com, tonodiaz
TourMaG - Me Llop, pouvez-vous définir ce qu'est un « travel planner  » ?

Emmanuelle Llop : La terminologie classique telle qu’« agent », « agence de voyages » peut paraître un peu désuète - même si elle est reprise dans le Code du Tourisme - et voilà quelques années que les professionnels, tour-opérateurs ou agences distributrices immatriculés, font preuve d’imagination pour désigner les spécialistes qui fabriquent et vendent des voyages.

On est donc passé de l’agent de voyages « classique » au conseiller voyages, voire au travel counsellor, au travel designer ou au travel planner.

Depuis que j’exerce dans le secteur touristique, il a toujours existé des partenaires des agences de voyages et des TO qui leur proposent des clients ou les assistent dans la création de leurs voyages ou le traitement des dossiers.

Mais après une période assez récente où ont fleuri les « courtiers », « intermédiaires », « coachs » ou même « mandataires », sont apparus les « travel planners » (TP) sur le modèle des wedding planners (pour lesquels il existe en France un diplôme d’Organisateur de mariage reconnu par l’État, dispensé après 2 ans d’enseignement à l’EFMM, École de Formation aux Métiers du Mariage).

Autrement dit, des gens plus ou moins experts qui proposent leurs services directement aux voyageurs et plus particulièrement, à ceux qui n’auraient pas le temps de planifier leur voyage.

Les nouveaux « travel planners » fleurissent depuis la pandémie

TourMaG - Pourquoi ces nouveaux « travel planners » posent-ils problème aux professionnels du tourisme ?

Emmanuelle Llop :
Il existe une multitude de ces nouveaux professionnels - en expansion depuis la crise Covid d’ailleurs - qui ne se contentent pas de prodiguer des conseils et recommandations aux voyageurs à la recherche d’inspiration, à la manière d’un guide de voyage.

Il y a d’une part la façade, notamment via des profils Facebook, Instagram ou Tik Tok, selon laquelle, avec souvent des maladresses rédactionnelles criantes, ces TP ne dispenseraient que leurs conseils, souvent inspirés de leurs propres expériences de voyageur ou d’influenceur.

Et d’autre part, la majorité d’entre eux, qui exercent exactement le métier de professionnel du tourisme en fabriquant le voyage, grâce souvent aux mêmes prestataires que ceux des professionnels immatriculés (réceptifs, hôtels, etc.), génèrent un carnet de voyage appelé « road ou travel book », annoncent les prix des différentes prestations ou un prix global pour le voyage, conseillent les formalités administratives et même des assurances-voyage (!) et choisissent les prestataires auprès desquels ils effectuent parfois eux-mêmes les réservations.

Ils se font rémunérer par les voyageurs pour ce travail, selon un prix forfaitaire ou journalier, mais sont également commissionnés par les prestataires qui ont leur ont généré et adressé des liens (dits « liens d’affiliation » ou encore « partenariats »), pour que le client effectue la dernière étape, la validation et le paiement des services.

Quand on connait un peu le droit du tourisme, il semble évident que selon la définition de l’activité selon le Code du Tourisme, ces travel planners élaborent, offrent à la vente ou vendent des services de voyage...

Une communication qui flirte avec le dénigrement de la profession règlementée

TourMaG - Pourquoi le voyageur confondrait-il les deux ?

Emmanuelle Llop :
Je remarque une véritable schizophrénie en la matière.

Leur communication, pour laquelle les TP sont plutôt pointus d’ailleurs, notamment sur les réseaux sociaux et Google Business où ils occupent le terrain, est trop souvent axée sur la comparaison avec les agences de voyages qualifiées de « classiques », qui ne feraient que revendre des forfaits tous préparés, réaliseraient des marges indécentes, ne sauraient pas faire du sur-mesure ni du service personnalisé et dont les travel planners se démarqueraient totalement.

D’ailleurs, souvent, cette communication flirte avec le dénigrement de la profession règlementée.

Et en parallèle, la plupart des TP entretiennent une confusion en expliquant qu’ils organisent des voyages, voire qu’ils sont agences de voyages (!), se déclarent à l’INSEE sous le même code APE que les professionnels immatriculés et utilisent le même champ lexical : carnet de voyage, itinéraire, convocation, formalités, assistance au voyageur.

Cela entretient une confusion à mon avis volontaire auprès des consommateurs, du moins ceux qui ne s’interrogent pas vraiment sur l’intérêt de s’adjoindre les services d’une agence de voyages.


TourMaG - En quoi certains travel planners exercent illégalement, par comparaison avec les opérateurs immatriculés ? Concrètement, quels sont les risques pour les voyageurs ?

Emmanuelle Llop :
Il n’aura échappé à personne que les professionnels ont une responsabilité très étendue, sans faute, dont leurs clients voyageurs sont protégés grâce d’une part à l’assurance de RCP et, d’autre part, à la garantie financière.

Ces garanties sont obligatoires pour obtenir l’immatriculation Atout France légalement requise pour exercer l’activité d’opérateur touristique d’élaboration, offre à la vente et vente de services de voyage : c’est une profession règlementée.

Les travel planners ne fournissent aucune garantie comparable bien entendu, même s’ils ont assuré leur activité de pur conseil.

Je connais d’expérience des cas où le voyageur a été accidenté gravement pendant son voyage, « conseillé » par un opérateur non-immatriculé, et qui se retrouve sans aucun responsable accessible et solvable en France pour l’indemnisation de ses préjudices. Et sans prise en charge non plus par l’assureur de RCP de l’opérateur, puisqu’il est hors périmètre du Code du Tourisme...

Sans aller jusque-là, le voyageur n’aura aucun responsable légal à qui demander de l'aide (je rappelle que les professionnels immatriculés ont une obligation d’aide légalement encadrée par le Code du Tourisme) ou transmettre sa réclamation pour les désagréments, les loupés et les non-conformités de son voyage : ni remboursement, ni dommages-intérêts ne sont prévus par les travel planners.

En fait, le voyageur qui passe par un TP se retrouve exactement dans la même situation que s’il avait réservé tout seul les prestations séparément sur Internet. Sauf qu’il aura rémunéré quelqu’un pour le faire à sa place...

Les apporteurs d’affaires dans la légalité ?

TourMaG - Mais alors, est-il possible de recourir légalement à des travel planners indépendants ?

Emmanuelle Llop :
Je travaille le sujet depuis plus de trente ans à mon Cabinet.

Bien entendu, un travel planner qui n’exercerait que du conseil sympathique pour partager ses coups de cœur de voyage ne représente ni danger pour les consommateurs, ni infraction au Code du Tourisme. Je doute cependant que l’on puisse en vivre à 100% mais c’est un autre sujet.

À mon sens, rares sont les travel planners de cette sorte.

Puis existent - et depuis longtemps - les apporteurs d’affaires aux professionnels, agences et TO, qui collaborent de manière non-exclusive avec ces professionnels responsables, en leur apportant leur expertise métier, clientèle ou destinations : dans ces cas que l’on encadre avec des contrats très précis, c’est le professionnel immatriculé qui élabore et conclut les contrats de vente de services de voyage. Le consommateur est donc bien protégé.

Il s’agit donc d’un non-sujet puisqu’il n’y a aucun exercice illégal de la profession mais une relation commerciale d’apport d’affaires.


TourMaG - Comment voyez-vous l’avenir proche des relations professionnels - travel planners ?

Emmanuelle Llop :
Mis à part la collaboration dans le cadre de l’apport d’affaires que je viens d’évoquer, j’entrevois assez mal un apaisement, tant que des TP « taperont » sur les agences de voyages en prétendant faire mieux et moins cher.

Les premiers travel planners, ce sont quand même les agences de voyages !

Devis le plus souvent gratuits, expertise des destinations, responsabilité, garanties, encadrement contractuel, formation continue, etc. : il serait temps que le message soit rappelé haut et fort auprès des consommateurs de voyage !

Emmanuelle LLOP

Avocat au Barreau de Paris, fondatrice du cabinet spécialisé EQUINOXE AVOCATS et spécialisée dans les questions relatives aux droit du tourisme et aérien, intervient en conseil comme en contentieux au profit de tous les professionnels du secteur : agences, tour-opérateurs, réseaux, compagnies aériennes institutionnels, start-ups etc.

www.equinoxe-avocats.fr

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